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Une rentrée « tous azimuts »

La rentrée est là, avec les dossiers qui étaient déjà évoqués dans notre newsletter de fin juin, et ceux qui se sont ajoutés cet été. Une actualité particulièrement nourrie.

Concernant  les dossiers de fin juin, il y a pour l’Europe, la conclusion des discussions sur la  DSP et le RSP, espérée pour  fin décembre prochain[1], l’annonce d’une coopération entre EPI Company et EuroPA (donc entre les diverses solutions européennes : Wero, Bancomat, Bizum, MB WAY (SIBS), and Vipps MobilePay  …), annoncé le 23 juin dernier qui s’est déjà concrétisé le 1er septembre par l’annonce d’un projet de Hub commun[2], et les sujets de l’euro numérique et de la tokenisation de la monnaie centrale de gros, mais aussi  les cryptopaiements, l’identité numérique pour lequel un Consortium européen a été lancé[3] pour créer un wallet européen et constituer un écosystème de confiance autour de l’identité numérique pour les entreprises et les paiements, la lutte contre la fraude pour lequel un observatoire européen est envisagé à l’instar de l’OSMP français, la préparation au quantique, et les nombreux débats européens comme sur FIDA et l’Open Banking, la révision de MiCA souhaitée par la BCE,… .

Dossiers auxquels il faut ajouter les questions lancinantes de l’Union bancaire et financière, de la défragmentation du marché européen, des infrastructures de paiement européennes et celle notamment d’un ou plusieurs schèmes européens de paiement par carte.

Parmi les dossiers qui se sont ajoutés cet été, l’impact des nombreuses décisions américaines sur les CBDC et les stablecoins[4], les divergences et convergences entre Banques Centrales sur l’opportunité d’une monnaie numérique de banque centrale de détail (retail CBDC), mais aussi sur la tokenisation de la monnaie centrale de gros[5], et le succès foudroyant de la solution PIX au Brésil … dû essentiellement au remplacement du dispositif Boletto mais d’abord présenté comme concurrente des solutions des ICS américaines et comme solution pour l’Europe, sans en mesurer les enjeux. Tous sujets sur lesquels cette Newsletter apportera déjà quelques éclairages, et sur lesquels nos GT vont s’impliquer dès cette rentrée.

L’actualité de cette rentrée est donc particulièrement nourrie.

Du côté européen, il faut noter une volonté d’avancer au plan réglementaire sur les nombreux sujets. Mais vu l’ampleur de la tâche, il va falloir fixer des priorités : toutes ces actions ne pourront être envisagées que dans le cadre d’une stratégie pluriannuelle.

L’enjeu est en effet désormais supérieur car derrière tous ces sujets, la question centrale reste celle de la souveraineté européenne des paiements, qui nécessite une clarification des objectifs et une action plus résolue, et qui doit conduire à réviser profondément la Stratégie européenne des paiements.

Cette souveraineté européenne, toujours très mal définie et cadrée, est bousculée sur tous les fronts, et l’Europe, tiraillée entre ses très nombreux objectifs, tente déjà d’endiguer la menace militaire à ses frontières et la menace économique de la nouvelle administration américaine, et ne sait plus où donner de la tête…

C’est aussi le cas dans les domaines du numérique et des paiements, et ces derniers mois ont été marqués par des annonces de nouvelles solutions ou de nouveaux services des grands acteurs internationaux, notamment fondés sur la crypto et l’IA, solutions ou services tous plus audacieux et prometteurs les uns que les autres, plus chers les uns que les autres et plus consommateurs d’énergie, pour concurrencer les solutions de paiement européennes et nationales actuelles. Et les menaces américaines sur l’application de la DSA et de la DMA.

Et malgré quelques annonces alléchantes de certains de ces acteurs internationaux, notamment de « cloud européen souverain », malgré les nouvelles offres européennes comme Wero et l’accord EPI/EuroPA, et malgré les divers rapports, dont le rapport Draghi, qui laissaient espérer une prise de conscience européenne de l’ampleur de la menace, on ne peut que constater en cette rentrée 2025 que le rapport Draghi n’a été mis en œuvre que pour 10% de ses propositions, et que l’Europe n’arrive pas à endiguer le flot, et n’a aucune stratégie globale à opposer au raz-de-marée qui s’organise outre Atlantique et en Extrême-Orient.

Et on a le sentiment que les grands projets d’investissement européens, annoncés urbi et orbi, ne sont pas près de sortir de leurs cartons, que l’Europe s’embourbe dans un projet de retail CBDC (l’euro numérique) alors même qu’un certain nombre de pays à travers le monde l’abandonnent ou le mettent en attente. Le projet d’euro numérique mériterait une révision profonde pour lever les malentendus et aboutir à un consensus indispensable à son succès et à la relance européenne. Il manque un scénario réaliste et de long terme, qui s’inscrive dans le cadre des systèmes de paiement existants, et prépare le futur, en commençant par une étape clé autour de la tokenisation de la monnaie de gros.

Vaste actualité, mais aussi vastes chantiers, car il faut revoir la stratégie européenne pour clarifier le concept de souveraineté dans la nouvelle phase que nous vivons et pour définir une stratégie de long terme et des priorités, de préférence consensuelles, pour intégrer dans un schéma d’ensemble l’ensemble des évolutions et règlementations qui s’appliquent aux systèmes de paiement.

Cette actualité impose à notre association de contribuer à une analyse approfondie de la situation, à la compréhension des enjeux et des moyens et à l’émergence d’un consensus autour de trois sujets clés :

  • Les infrastructures européennes dans les paiements et la défragmentation des marchés nationaux
  • La sécurité européenne dans les paiements
  • L’innovation européenne dans les paiements.

 

Et bien sûr, notre contribution à une nouvelle stratégie européenne, qui aura en toile de fond la souveraineté européenne dans les paiements, sujet que tout le monde veut désormais traiter et sur lequel tout le monde a un avis, mais qui nécessite une réflexion en profondeur. Ceci pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il ne s’agit pas de la France, qui a su préserver son autonomie stratégique pour l’essentiel et va la renforcer avec le nouveau plan stratégique pour les paiements adopté par le CNMP, mais de l’Europe.

Or, au niveau européen le constat est tout autre : l’Europe est un « gruyère » largement entamé par les acteurs internationaux, et avec de très nombreux acteurs européens, parfois assez insignifiants, et qui sont susceptibles d’être phagocytés très facilement par des acteurs internationaux. C’est déjà le cas pour la carte bancaire, avec les nombreux pays qui n’ont pas su ou pas voulu préserver leur souveraineté en ce domaine, au profit des ICS ou de solutions alternatives comme PayPal. Et pour les autres flux, même si le SEPA fonctionne, et c’est un succès à mettre au crédit de l’EPC et de ses membres bancaires, l’acheminement des flux passe par un nombre très important d’acteurs[6], multipliant les coûts et les circuits, et qui a conduit la BCE à développer le système TIPS, pour boucler la boucle d’acheminement des flux, et atteindre tous les comptes européens. Et certains pensent que TIPS est le seul système réellement paneuropéen, et qu’il serait bon de le renforcer et de l’étendre, et de le compléter par un euro numérique de banque centrale[7] pour les paiements courants.

La question est donc celle des alternatives.

C’est donc au niveau européen qu’il faut réfléchir aux solutions, et le lancement de Wero et le rapprochement Wero -EuroPA en sont des briques essentielles, même si eux aussi vont avoir à combattre les nombreuses solutions numériques internationales qui s’implantent en Europe, et parfois avec succès. Et la publication d’un accord le 1er septembre pour créer un Hub européen en est une étape importante, au moins pour le P2P. Pour le paiement B2C, un scheme serait probablement indispensable.

Et cette réflexion doit s’étendre bien sûr à la carte bancaire, sur laquelle l’Europe a un impératif stratégique de reprise de parts de marché aux ICS, mais aussi à d’autres sujets comme la lutte contre la fraude, le développement des cryptopaiements, l’identité numérique, … sur lesquels diverses solutions internationales sont prêtes à déferler sur l’Europe.

Mais, la tâche est immense et nécessite d’éviter les fausses solutions (comme le projet STELLA, car il ne s’agit pas d’une carte mais d’un ou plusieurs schemes à construire, voire un scénario comme celui de Wero/EuroPA), le buzz si fréquent (par exemple la rumeur d’un possible recours par la BCE aux blockchains publiques pour l’euro numérique, lancée sans vérification préalable suffisante[8]), et les positions nationales de nombreux acteurs, étatiques ou commerciaux, qui jouent au détriment de l’intérêt de tous.

Au plan européen, le nouveau Président de l’EPC, Gijs BOUDEWIJN, a proposé le 16 juin dernier un objectif ambitieux, qu’il qualifie de SEPA 2.0, et il a déclaré « Developing new pan-European solutions is complex, costly, and takes a long and sustained effort. There is also a possible digital euro on the horizon, which will have to fit into the payments ecosystem. I believe the sense of urgency sparked by the current situation has created the opportunity to take unprecedented measures to intensify pan-European cooperation both within the industry and between the industry and the public sector. A new public–private partnership under the right leadership could potentially deliver what I would call the Single Euro Payments Area (SEPA) 2.0. »

Il faut donc une organisation européenne à même de mettre en œuvre ce projet, une « task force » public/privé pour relever le défi, pour structurer une filière de paiement européenne souveraine de bout en bout sur tous les instruments et tous les médias, et ne pas laisser des fleurons industriels européens comme Worldline affronter seuls la bourrasque internationale, et les organisations de paiement interbancaires nationales tomber une à une sous le joug des acteurs internationaux. C’est un enjeu majeur que nous devons relever. 

Il faut aussi une représentation de l’écosystème européen des paiements pour l’accompagner et la soutenir. Il faut mettre sur pied une réelle association européenne des paiements, dirigée par des européens pour une Europe des paiements souveraine et numérique, pour ne pas laisser le terrain libre aux organisations et solutions importées d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique, même si ces dernières tentent de cacher leurs origines et leurs objectifs sous des attributs européens.

Dans ce contexte difficile et confus, la France a une opportunité à saisir sur ce sujet, même si cela fait débat. Car même si la France a fait les investissements nécessaires et ne veut pas avoir à payer pour ceux qui n’ont rien fait, la survie du système de paiement français passe par la survie du système de paiement européen. A court ou à long terme.

FRANCE PAYMENTS FORUM s’attachera cette année à œuvrer à la clarification des débats et à la prise en main du futur européen par les européens. Et nous nous efforcerons également de participer à la structuration de l’écosystème européen des paiements, défi d’une toute autre ampleur et de longue haleine, sur lequel nous reviendrons.


[1] Un premier Trilogue sur ces sujets entre la Commission, le Conseil et le Parlement a eu lieu le 8 juillet dernier, et un second est prévu le 23 septembre prochain.

[2] La phase suivante sera de finaliser l’étude de faisabilité pour décembre 2025, avant la construction de la solution

[3] Cf. webuildconsortium.eu lancé à l’initiative des gouvernements néerlandais et suédois, s’appuyant sur le cadre de European Digital Identity Wallet (EUDIW), et faisant suite aux pilotes NOBID et EWC, avec l’implication de nombreux acteurs publics et privés, et notamment avec une implication forte de Visa Europe

[4] Dont le Genius Act, adopté et publié, mais aussi le Digital Assets Market Clarity Act en cours d’adoption par le Sénat américain

[5] Ces divergences et convergences ont fait l’objet de deux articles d’Hervé Sitruk publiés cet été dans l’AGEFI

[6] Il y a près de 3.000 PSP participants pour le scheme SCT et plus de 2600 pour le scheme SCT Inst, et près de 50 Routine and/or Verification Mechanisms (RVM) pour la Verification of Payee (VoP)

[7] L’euro numérique existe depuis plus de 25 ans déjà sous sa forme de monnaie commerciale

[8] Questionné sur ce sujet lors de son audition du 4 septembre par le Parlement européen, Piero CIPOLLONE a confirmé que cette rumeur traduisait une confusion entre euro numérique de détail (retail) et de gros (wholesale).

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