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Position Paper : Règlement sur les virements instantanés

Introduction : FRANCE PAYMENT FORUM au travers des travaux de réflexion menés au sein du groupe de travail RED,

Introduction :

FRANCE PAYMENT FORUM au travers des travaux de réflexion menés au sein du groupe de travail RED, a souhaité prendre position sur la proposition de la Commission européenne d’un Règlement qui modifie les Règlements SEPA (260/2012) et sur les paiements transfrontaliers dans l’UE (2021/1230), en instituant des règles « en ce qui concerne les virements instantanés en euros » (IP).

Ce document a pour objectif d’éclairer les acteurs concernés par l’IP sur les points d’attention à court et moyen termes.

En outre, il s’inscrit dans le contexte de la consultation menée par le Comité National des Moyens de Paiements (CNMP) ainsi que les travaux préparatoires à la prochaine révision de la 2ème Directive sur les Services de Paiement (DSP2), à commencer par l’étude d’impact publiée par les services de la Commission début février 2023.

Dans ses remarques préliminaires sur son projet de Règlement, la Commission rappelle que malgré son essor, l’IP ne représentait en 2021 à l’échelle de l’UE que 11% des volumes de virements en euros (contre moins de 3% en France, selon l’ex-CNPS). La Commission Européenne considère que l’IP est une brique essentielle à la création de l’espace unique européen et souverain dans le domaine des paiements, et justifie donc d’une règlementation pour en accélérer le déploiement. En outre, l’évolution règlementaire s’inscrit en complément d’autres initiatives privées, construites autour de l’instantanéité du paiement, telles que l’European Payment Initiative (EPI).

La Commission entend donc lever les principaux freins à son développement, son acceptabilité et son prix, en obligeant les banques et tous les PSP à offrir l’IP aux mêmes conditions que celles du virement européen (SCT).

  1. Obligation miroir d’exécution d’IP aux prestataires exécutant des virements (SCT)

Dans sa proposition de modification, la Commission énonce une nouvelle obligation pour tous les prestataires de services de paiements (PSP) : proposer l’exécution de virements instantanés si le PSP effectue déjà des virements européens en euro.

Cette nouvelle obligation de proposer 24h/24 et 7j/7 des virements instantanés, devient incontournable, avec une introduction échelonnée sur quatre échéances distinctes, relativement rapprochés :

  • Une obligation de réception des virements instantanés en zone euro dans les 6 mois qui suivront l’entrée en vigueur du Règlement ;
  • Une obligation d’envoi de paiements instantanés en zone euro dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur ;
  • La réception obligatoire pour les PSP en dehors de la zone euro, 30 mois après l’entrée en vigueur,
  • L’obligation d’envoi de paiements instantanés en euros pour les PSP en dehors de la zone euro, 36 mois après l’entrée en vigueur.

Cet échelonnement des obligations va mécaniquement entrainer une augmentation de l’utilisation des virements instantanés, car l’objectif de la Commission ici est clair : faire de l’IP le « new normal » en ce qui concerne les instruments de paiements européens.

Toutefois, on peut s’interroger sur les méthodes employées pour promouvoir l’IP. Les futures obligations échelonnées sont sans équivoque. La Commission se contente d’imposer des dates butoirs à l’entrée en vigueur des nouvelles règles et semble vouloir ignorer les sujets opérationnels. Par exemple, la Commission semble vouloir considérer qu’il revient aux acteurs assujettis aux nouvelles règles de déterminer ensemble comment faire fonctionner le service innovant qu’elle rend obligatoire sur chaque IP – mais pas sur les SCT (ni d’ailleurs sur le SDD, ni sur les paiements par carte) – tendant jusqu’à alerter le payeur d’une situation de discordance entre l’IBAN et le bénéficiaire renseignés (qu’on connaît mieux sous l’expression d’« IBAN Check » ou celle plus britannique de « confirmation of payee »).

Cette approche rappelle l’évolution des règles sur la consolidation des services de Target 2 au sein de l’Eurosystème à l’occasion desquelles les acteurs des paiements concernés (principalement les banques) ont vu les changements entrainés par ce projet être accompagnés d’une documentation technique uniforme (ex : User Handbook de la BCE) et d’un calendrier précis de migration et des documentations propres à chaque Banque centrale nationale.

Avec la proposition de modification du Règlement SEPA, on peut espérer que les PSP recevront également une feuille de route claire de la Commission, organisée sous l’égide de l’EBA, de l’ERPB de la BCE, voire de l’European Payment Council (EPC), qui en a défini le scheme. En l’occurrence, les acteurs de la Place (ce compris les superviseurs) ne semblent pas avoir encore pris la mesure de l’ampleur des changements techniques et opérationnels que le passage au « full IP » engendrera.

On peut regretter le choix de la Commission de ne pas avoir décidé de légiférer sur un cadre juridique plus global que celui choisi. Le FPF relève en l’espèce le manque d’un Scheme plus complet pour l’IP, couvrant toutes les facettes de l’instrument de paiement, à l’instar du processus de standardisation récemment entrepris par l’ EPC pour l’open banking avec un Rulebook dit SPAA (pour SEPA Payment Account Access).

Pour FPF, la proposition de Rulebook devrait être construite autour de cinq vecteurs organisés qui viendront parfaire le Scheme IP :

  • des modalités opérationnelles de la transaction,
  • un marketing plus présent,
  • un modèle économique précis,
  • une logique de maîtrise des risques,
  • un cadre juridique adapté.

En l’occurrence, le cadre juridique proposé par la Commission apparaît insuffisant pour atteindre l’objectif fixé pour l’IP, alors qu’il n’aborde pas toutes les questions que ses utilisateurs peuvent se poser, afin qu’ils puissent utiliser la solution avec confiance et profiter de ses avantages, sans être victimes de ses principaux risques, à savoir une plus grande difficulté à mettre en échec la fraude par ingénierie sociale. En particulier, le cadre de réforme du Règlement SEPA ne prend absolument pas position sur le cadre de remboursement des opérations non autorisées ou mal exécutées dont l’analyse d’impact de la DSP2 du 2 février 2023 publiée sous l’égide de la Commission souligne qu’il mériterait d’être révisé. D’autre part la « confirmation du payee » soulève des questions qui pourraient à court terme être réglées par des dispositifs nationaux, mais qui nécessiteraient des réponses paneuropéennes de moyens et long terme. FPF présentera ses solutions sur ce sujet par ailleurs.

  1. Plafonnement de la tarification de l’IP par alignement avec celle du SCT

La Commission prévoit dans sa proposition de Règlement que les frais associés à l’IP ne doivent pas dépasser ceux du virement européen (SCT). Cette obligation doit être effective 6 mois après l’entrée en vigueur du Règlement pour les PSP de la zone euro et 30 mois après pour les PSP hors de la zone euro.

Cette dernière obligation pose toutefois un problème pour les PSP hors de la zone euro puisqu’ils pourraient être contraints par le Règlement 2021/1230 sur les paiements transfrontaliers dans l’Union de proposer des virements transfrontaliers pour un coût identique à ceux facturés pour les virements nationaux et ne pourraient pas facturer les IP hors zone euros à moindre frais.

Pour pallier cette contrainte du Règlement sur les virements transfrontaliers, la Commission propose de le modifier pour que les virements instantanés (IP) en euros soient facturés à des prix identiques ou inférieurs à ceux d’un virement transfrontalier en euros, ce qui est une manière de légitimer la discrimination à rebours (où un virement instantané IP en euros, réalisé au plan national, pourrait être plus onéreux qu’un IP transfrontalier en euros).

FPF tient ainsi à souligner une nouvelle fois la situation paradoxale dans laquelle la Commission place l’IP. L’ajout de règles supplémentaires tendant à une facturation identique ou inférieure obligatoire de l’IP par les PSP hors zone euro semble superflu. Le virement instantané IP présente des avantages avérés supérieurs au virement classique ; dès lors, imposer une tarification égale ou inférieure apparaît non seulement incohérente avec la valeur ajoutée de l’instantanéité mais surtout n’envoie pas un message clair : que la Commission croit réellement dans les chances du virement instantané IP de l’emporter sur le virement européen SCT.

Il faut rappeler que les justifications de la proposition de la Commission en soutien de la réforment indiquent que « des milliards d’euros se trouvent [aujourd’hui] en transit dans les systèmes de paiement et ne sont pas disponibles pour consommer ou investir » (en l’occurrence, l’analyse d’impact évoque le chiffre de 200 milliards d’euros par jour). On comprend ainsi que l’intérêt d’adopter un règlement européen qui vient promouvoir l’IP profite essentiellement aux bénéficiaires des IP. Une telle constatation semble ainsi justifier que la charge financière associée à la promotion et l’utilisation de l’IP repose ainsi sur les bénéficiaires, en premier lieu desquels il faut citer les commerçants, qui devraient bénéficier du déblocage des fonds qui ne leur parviennent aujourd’hui qu’avec un décalage d’un à 5 jours. On ne doit pas non plus oublier que les particuliers bénéficieront également de cette évolution dans leurs règlements P2P ou à réception de salaires ou de prestations de l’Etat.

FPF considère cependant que pour que l’IP devienne le new normal, les frais associés ne devraient pas être supportés par les consommateurs.

Il pourrait être intéressant que dans le Règlement sur l’IP, le législateur européen précise ses intentions quant à la répartition de la charge financière de la transition vers le « full IP ».

  1. Adaptation des processus de criblage des bases clients (sanctions)

La Commission annonce adopter une « approche harmonisée » dans sa proposition, en ce qui concerne le gel des avoirs des personnes placées sur des listes de sanctions. Pourtant, elle ne dit pas si le processus de criblage des bases clients impliquent non seulement les listes européennes sur les sanctions/le gel des avoirs mais aussi celles nationales. En l’occurrence, si le cadre UE des règles actuelles prévoit déjà une reconnaissance dans l’UE des décisions nationales de gel des avoirs, la portée transfrontière de l’IP suppose que le déploiement opérationnel du criblage quotidien proposé intègre toutes les listes, afin d’éviter (i) ce que la Commission désigne comme le risque de « double emploi », et (ii) garantisse que les IP ne soient pas bloqués dans l’UE et au-delà par des contraintes nationales.

Très pratiquement, il faudrait mieux comprendre si l’obligation quotidienne de cribler les listes se limitera aux seules listes européennes ou également pour les listes nationales de tous les Etats membres. Cette question découle pourtant de l’application d’un Règlement européen visant à la reconnaissance mutuelle des mesures nationales de gel des avoirs, applicable depuis le 19 décembre 2020. Factuellement, aujourd’hui un établissement assujetti en France est contraint d’examiner la liste unique du Trésor en plus de la liste européenne. Avec le Règlement IP, la question est donc de savoir si le criblage quotidien rendu obligatoire devient plus étendu que le criblage applicable à ce jour, particulièrement dans le contexte d’un IP transfrontalier.

Par ailleurs, comment ne pas remarquer que le projet de la Commission oblige les PSP à vérifier quotidiennement si les personnes concernées sont visées par des sanctions européennes alors que le criblage quotidien n’est pas requis au titre des règles sur la LCB-FT.

En outre, la proposition de la Commission manque de définir précisément les personnes concernées par le criblage (payeur et/ou bénéficiaire). En l’absence de précision dans la proposition, on peut penser qu’il s’agira de cribler non seulement le payeur mais aussi la liste des bénéficiaires renseignés par le payeur, en amont de l’exécution de ses virements, à moins que des règles de niveau 2 viennent légitimer un assouplissement d’un tel criblage forcément coûteux par des dérogations à des criblages de bénéficiaires non habituellement associés à des virements.

Enfin, la question du criblage des IP aux personnes morales devient problématique depuis que la récente décision de la Cour de Justice de l’UE a remis en cause la publicité des registres de bénéficiaires effectifs, ce qui rend plus difficile l’interconnexion requise par ce criblage quotidien par les PSP des payeurs.

  1. Obligation de fournir un service de vérification de la concordance entre l’IBAN et le nom du bénéficiaire

La proposition de Règlement de la Commission vient imposer aux PSP qui proposent des IP de fournir aux utilisateurs du service la vérification de la concordance de l’IBAN du bénéficiaire renseigné et du nom de ce dernier, avec comme finalité d’avertir le consommateur, avant que le paiement soit effectué, d’une éventuelle discordance entre ces informations.

Toutefois, la constatation d’une discordance entre le nom du bénéficiaire et le nom associé à l’IBAN renseigné n’entraine pas d’annulation systématique de l’IP : Il serait laissé à la discrétion du donneur d’ordre le choix de procéder ou non à l’exécution du virement, qui est instantané et irrévocable. Cette obligation pour le PSP, en cas de discordance entre les informations, n’entraine pas le recherche de sa responsabilité ; il faut comprendre qu’il s’agit là uniquement d’une obligation de moyens et pas de résultat pour les PSP.

L’issue qui semble la plus probable pour faire face à cette obligation est l’utilisation d’une solution inter-bancarisée, puisque dans sa proposition de texte la Commission ne semble pas vouloir imposer la création d’une infrastructure européenne pour réaliser ce contrôle. Les acteurs bancaires européens auront donc la tâche de remplir cette obligation de moyens qui leur est imposée et d’assurer que cette solution, une fois mise en place, soit atteignable par les PSP transfrontaliers, ce qui engendre une nouvelle série de questions sur la faisabilité opérationnelle d’un criblage quotidien au travers d’une solution interbancaire.

Il est difficile d’entrevoir quels sont les « risques opérationnels » non désirés qui résulteraient de la mise en place d’une infrastructure centralisée, puisque le modèle défendu par la Commission n’existe essentiellement à maturité dans l’UE qu’en France et au Pays-Bas, dont l’interconnexion est justement le seul exemple européen.

Pour mémoire, en France, le service de vérification de l’IBAN (avec le nom du bénéficiaire désigné) est porté par la solution interbancaire SEPAmail Diamond. Outre les considérations techniques de la mise en place d’un tel service à l’échelle de tous les Etats membres, les délais de réalisation sont eux aussi très courts, puisque le Règlement qui concerne cette consultation devra rentrer en vigueur dans un délais de 36 mois.

La question de savoir, comment mettre en place dans l’UE et pour les virements transfrontaliers, des solutions inter-bancarisées au travers du confirmation of payee, demeure. SWIFT avec son SWIFTRegistry publie un registre des IBAN au format ISO 13616 qui est mis à jour à la demande des Banques Centrales Nationales, et grâce à la solution SWIFTRef les données de références format ISO 13616 sont mises à dispositions des banques et PSP au travers d’une Graphic User Interface (GUI). On notera également que le récent Rulebook relatif au SEPA Payment Account Access (SPAA) qui vient faciliter l’échange d’informations des comptes de paiements pour l’initiation des transactions via un système d’API pour les adhérents du Scheme SPAA, qui se rapproche d’une solution envisageable en matière de criblage quotidien des listes de sanctions pour les virements européens et transfrontaliers.

L’objectif pour la Commission derrière cette obligation d’IBAN-Name Check, est de « renforcer la confiance dans les paiements instantanés » telle qu’elle l’énonce dans un communiqué de presse du 26 octobre 2022.

Comme indiqué plus haut, il conviendrait de rechercher des solutions paneuropéennes de moyen terme, répondant à la fois à la question de la sécurisation de la fraude du côté Emetteurs, aujourd’hui traitée par l’ « authentification », que de la fraude du côté Accepteur, comme celle de la non concordance précitée.


 

En conclusion, FPF livre ici ses premières idées sur le projet de la Commission Européenne tendant à promouvoir par une règlementation l’utilisation des virements instantanés (IP). Il a semblé que pour accomplir cet objectif, le choix d’intervention législative, bien que construite autour d’arguments pertinents, manque d’ignorer que l’itinéraire pour y parvenir semble plus complexe qu’il ne l’a été présenté. De plus, une telle règlementation introduit une discordance de concurrence entre instruments de paiement (entre IP et SCT), difficilement justifiable. Dès lors, FPF considère que l’articulation avec les réglementations concernant les autres instruments de paiement, y compris le futur euro numérique, devrait être plus importante et dûment coordonnée dans le cadre de la révision de la DSP2 (future DSP3). Enfin, le calendrier devra mieux tenir compte de ces questions opérationnelles, à défaut d’apporter plus d’éléments pour y répondre.

Le GT RED est composé de Corina Fontaine (Onepoint), Marie-Laure Plessis (Aptoriel), Ludovic Vathelot (Treezor), Alexandre Marion (La Tour International), Maria-Luisa Julia (Transactis) et Pierrick Loillier-Ildebrand (Onepoint)

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