Chers amis,
Nous sommes arrivés à la fin de notre matinée et, comme vous l’avez vu, nous avons voulu ouvrir le débat sur les moyens d’un consensus dans les paiements en Europe.
Consensus ne veut pas dire absence de débats, mais consensus signifie absence d’anathèmes, comme on en a vu fleurir cette semaine sur les réseaux sociaux en provenance du Parlement européen, et consensus signifie aussi respect de la position d’autrui. Et consensus signifie enfin recherche des voies et moyens de rapprocher les solutions et les positions.
Aujourd’hui nous avons constaté qu’il y a des sujets matures et des sujets qui sont encore loin de générer un soutien suffisant, si ce n’est une adhésion d’une majorité d’acteurs économiques européens.
D’abord, la question de la Souveraineté dans les paiements : c’est un objectif ambitieux, mais il ne sera pas atteint en 3 ou 5 ans, et il ne signifie pas unicité des offres, mais disponibilités de solutions pérennes et compétitives qui assurent une part critique des opérations et permettent à l’Europe d’assurer sa résilience en toutes circonstances. Et d’éviter d’être sujet à une taxation internationale, comme on peut le constater avec l’augmentation du prix des services et logiciels sur les PC et sur le prix des mobiles…. Ou qui ne garantissent pas la protection des données à laquelle nous tenons tant, comme on le voit sur le Cloud.
Mais Souveraineté signifie capitalisation sur ses atouts : certes on peut créer de nouveaux acteurs innovants, mais il ne faut pas remettre en cause ceux qui assurent aujourd’hui cette souveraineté, et le développement européen. Au risque de perdre l’un sans avoir encore créé l’autre.
Puis, il y a des projets qui ont déjà bénéficié de consensus : c’est le cas de la tokenisation de la monnaie centrale pour les opérations de gros, et c’est le cas de Wero et des projets équivalents en Europe.
La tokenisation de la monnaie de gros est la première marche pour répondre à la numérisation des actifs financiers, et c’est une marche incontournable pour créer une masse critique qui donnera à l’euro une assise forte dans le monde numérique. C’est ce que FRANCE PAYMENTS FORUM avait déjà proposé, il y a près de quatre ans déjà, dans son position paper sur « L’opportunité et les enjeux d’une monnaie numérique pour l’Europe des paiements » de mars 2022, et c’est maintenant une évidence. Mais, on a vu cette année que cela ne suffirait pas : des stablecoins en euros s’avèrent indispensables pour consolider l’euro, pour ne pas laisser le marché aux stablecoins en dollars, et demain en Yuan. Il y a en ce domaine une falaise à gravir pour l’Europe, et cela exige un consensus de tous les acteurs. Et cela exige aussi de renforcer la réglementation pour éviter les dérapages et les crises importées comme on l’a vu en 2008.
L’autre sujet de consensus, le projet Wero, a très vite bénéficié d’un soutien politique européen, quoiqu’insuffisant. Certains États ont craint pour leur souveraineté et ont lancé des solutions domestiques. Il faut de la patience pour créer des solutions européennes et EPI a eu l’intelligence d’accepter un hub commun avec l’alliance EuroPA. Faut-il rappeler que Wero s’est appuyé sur une stratégie lancée initialement en 2020 par la Commission européenne autour de l’instant payment pour contrebalancer le poids des Schemes cartes internationaux et pour assurer déjà la souveraineté européenne. Mais, il faudra encore beaucoup de temps pour réussir cette stratégie. Dix ans paraissent être un cap nécessaire, même si des résultats tangibles pourront être comptabilisés avant.
Et il y a l’euro numérique, qui fait l’objet de débats et d’incompréhensions. L’idée est née au détour de Libra, mais Libra n’est plus… ou plus aussi menaçant. Puis, il y a eu le recul de la part du fiduciaire face aux nouvelles solutions digitales dans les paiements. Et la volonté des pouvoirs publics de disposer d’un moyen de paiement numérique présent dans le mix des solutions de paiements européen. Peut-on contester cette ambition, qui soutient certaines politiques publiques ? Mais cette ambition peut-elle se faire au détriment de solutions européennes souveraines et résilientes, notamment dans les États les plus développés de l’Union européenne ? Et il y a eu la politique américaine tonitruante qui a semble-t-il effrayé les décideurs et les pousse à accélérer une mutation pourtant de long terme…, au risque de bousculer les agendas des projets en cours. On peut comprendre les doutes sur la capacité du marché à résister aux pressions des gigantesques entreprises internationales du monde de la technologie, mais là encore, ce n’est pas en cassant ce qui existe que l’on garantit une solution alternative. Le remplacement à très long terme du cash physique par un cash numérique droit prendre le temps de créer une adhésion et les conditions d’un consensus, au risque d’un rejet et au risque d’un échec qui nuiraient à l’euro lui-même.
Quand on regarde les approches des États au plan mondial, au-delà des USA, on voit une tendance forte à soutenir une double démarche : une monnaie numérique de gros, et une solution de paiement digitale fondée sur un wallet. La Suisse a rejeté tout projet de monnaie numérique de détail, se déclarant contre dès 2019, et l’Australie a déclaré qu’elle n’avait pas « été en mesure d’identifier un avantage public clair pour une CBDC de détail, car les citoyens sont bien servis par le système de paiement de détail actuel ». Et comme l’a rappelé François Lefebvre (et comme je l’avais fait cet été dans un série de deux articles dans l’AGEFI[1]), de nombreux États (dont le Canada, le Japon, …) ont mis dernièrement en pause ou arrêté le leur, et encore tout dernièrement le Nigeria et la Norvège l’ont tout simplement abandonné. Seule la Suède et Israël, parmi les Etats de l’OCDE persistent. Et nombreux sont ceux qui veulent capitaliser sur une solution de paiement digitale et un wallet, ici public, et là privé. Il faut en ce domaine avoir de la patience, construire pas à pas, surtout en matière de monnaie et de moyens de paiement. C’était déjà la stratégie que nous avions mise en œuvre pour le déploiement de la carte à puce.
Et si on veut arriver à un consensus, cela est possible, comme ce fut le cas en 1995 autour du passage à l’euro : comme je l’ai indiqué ce matin, nous fêterons le 15 décembre 2025 les 30 ans de l’adoption à Madrid du scénario de transition à l’euro, et ce consensus a été obtenu en 9 mois, après une grande période de débats sans issue. Et ce scénario a permis de faire de cette transition un succès, et un succès consensuel. Ce scénario nous fournit quelques leçons : il faut d’abord et toujours commencer par le gros, pour créer une masse financière critique, qui donne de la valeur et consolide la nouvelle monnaie (ou la nouvelle forme de monnaie) et il faut laisser du temps pour asseoir le déploiement de solutions de détail ; et il faut laisser aux États le temps de développer des stratégies conformes à l’état de développement de leurs solutions domestiques. Donc fixer un rendez-vous et laisser chacun se préparer à son rythme à cette échéance.
Il faut donc rapidement rebâtir une stratégie européenne qui intègre ces leçons et assure très vite le retour d’un consensus public/privé.
L’année 2026 offre des opportunités pour un succès commun. La France pourrait prendre l’initiative d’une grande conférence pour rechercher le consensus en Europe. Et FRANCE PAYMENTS FORUM va se mobiliser pour contribuer à cet objectif.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention, et vous invite au cocktail de fin d’année de notre
[1] Les stratégies des banques centrales en matière de monnaies numériques de banque centrale – L’Agefi et Que conclure des stratégies des banques centrales en matière de monnaie numérique – L’Agefi (Août 2025)


