Début mars 2019, un article paru dans le New York Times indiquait que Facebook envisageait de lancer sa propre monnaie numérique sur fond de Blockchain, permettant au réseau social de créer la première « banque centrale privée ». Cet article en a suscité beaucoup d’autres, notamment dans la presse française, mais il a fallu attendre le 18 juin 2019 et la publication du white paper sur Libra et des documents plus détaillés qui l’accompagnaient (voir liens ci-après) pour en savoir plus sur le projet de monnaie Facebook.

Les premières pages du white paper résument comme suit le projet : « La  mission  de Libra est de développer une devise et une infrastructure financière mondiales simples, au service de milliards de personnes. Libra est composée de trois éléments qui forment ensemble un système financier plus inclusif:

  1. Ce système repose sur une blockchain sécurisée, évolutive et fiable ;
  2. Il est soutenu par une réserve d’actifs conçue pour lui offrir une valeur intrinsèque ;
  3. Il est gouverné par l’association indépendante Libra, qui est chargée de guider l’évolution de l’écosystème ».

Libra a suscité de nombreuses réactions des autorités, tant en France qu’à l’étranger, et le sujet était à l’ordre du jour de la réunion des Ministres des finances et des Gouverneurs de banque centrale du G7 qui s’est tenue à Chantilly les 17 et 18 juillet 2019.

Premières réactions des autorités françaises

Le 18 juin, Bruno Le Maire, Ministre de l’économie et des finances, dans le cadre d’une interview sur Europe 1, déclarait : « Que Facebook crée un instrument de transaction, pourquoi pas. En revanche, que ça devienne une monnaie souveraine, il ne peut en être question (…) l’attribut de la souveraineté doit rester aux mains des États et pas d’entreprises privées qui répondent à des intérêts privés (…) il faut des garanties pour que cet instrument de transaction ne puisse pas être détourné, par exemple, pour le financement du terrorisme ou d’activités illicites ». Bruno Lemaire précisait qu’il avait demandé aux gouverneurs des banques centrales du G7 de faire un rapport indiquant les garanties qui devraient être fixées sur ce projet.

Le 21 juin, François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, intervenant lors d’une conférence ACPR sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, indiquait : « Nous venons, avec Bruno Le Maire et au nom de la présidence française du G7, de décider la mise en place d’une task-force sur les projets de « stable coins » : le Libra, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours, mais pas seulement lui (…). Dirigée par Benoit Cœuré, cette task-force devra examiner les exigences anti-blanchiment, mais aussi celles de protection des consommateurs, de résilience opérationnelle, ainsi que les éventuelles questions de transmission de la politique monétaire. Nous voulons allier ouverture sur l’innovation et fermeté sur la régulation: c’est l’intérêt de tous. Et nous devons parallèlement améliorer encore l’efficacité des systèmes de paiement existants, en transfrontières : la Banque de France promeut activement une stratégie européenne en la matière.»

Le 25 juin, le Gouverneur développait son analyse dans une interview à l’Obs (« Libra sous l’œil des banques centrales » : voir lien ci-après), en particulier les trois interrogations que soulève le projet LIBRA : (1) Quelle sera la valeur de cette monnaie ou sa définition ? (2) Quelle est la finalité du projet ? (3) Quid de l’ambition affichée de créer une monnaie privée mondiale ?

Il est ensuite revenu sur le sujet à plusieurs reprises, notamment le 3 juillet lors de son audition par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, le 9 juillet devant le Forum Paris Europlace et le 18 juillet en marge de la réunion du G7 de Chantilly.

Parmi les nombreuses réactions d’autorités étrangères, on notera celles de Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre et celles des autorités américaines.

Réaction du Gouverneur de la Banque d’Angleterre

Le 20 juin, lors d’un discours sur le thème « enable, empower, ensure : a new finance for the new economy » (voir lien ci-après), Mark Carney déclarait à propos de Libra :

« The Bank of England approaches Libra with an open mind but not an open door (…) Libra, if it achieves its ambitions, would be systemically important. As such it would have to meet the highest standards of prudential regulation and consumer protection. It must address issues ranging from anti-money laundering to data protection to operational resilience. Libra must also be a pro-competitive, open platform that new users can join on equal terms. In addition, authorities will need to consider carefully the implications of Libra for monetary and financial stability. Whatever the fate of Libra, its creation underscores the imperative of transforming payments »

Il est ensuite revenu sur le sujet, à plusieurs reprises, notamment le 11 juillet lors de la présentation du Financial Stability Report de la Banque d’Angleterre.

Réaction des autorités américaines

Le 10 juillet, lors de son audition par la Commission des services financiers de la Chambre des représentants, le Président de la FED, Jerome Powell, a indiqué que la Fed « soutient l’innovation responsable dans le secteur des services financiers tant que les risques associés sont correctement identifiés et gérés », mais que Libra « soulève de graves inquiétudes concernant la vie privée, le blanchiment d’argent, la protection des consommateurs et la stabilité financière ».

Le 15 juillet, lors d’une conférence de presse, le Secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, a également exprimé de sérieuses inquiétudes à l’égard de Libra, qui pourrait être mal utilisé pour blanchir de l’argent ou financer le terrorisme, et souligné qu’il s’agit d’une question de sécurité nationale.

Le 16 juillet, Davis Marcus, Directeur de la filiale services financiers de Facebook (Calibra) était auditionné par la Commission des affaires bancaires du Sénat américain (voir lien ci-après). Après avoir présenté le projet et ses enjeux, il a souligné que Libra ne serait lancé que lorsque Facebook aura pleinement répondu aux préoccupations réglementaires et aura reçu toutes les approbations nécessaires. Les Sénateurs ont exprimé leur défiance à l’égard du projet, comme l’illustrent les interventions l’illustrent les interventions du Président de la Commission, Mike Crapo, et du Sénateur Sherrod Brown (voir liens ci-après).

Réunion du G7 de Chantilly (17-18 juillet 2019)

Extrait du résumé de la Présidence française (voir lien ci-après)

« Les Ministres et les Gouverneurs ont reconnu que si l’innovation dans le secteur financier peut apporter des avantages substantiels, elle peut également comporter des risques. Ils sont convenus que les stablecoins, et les autres nouveaux produits en cours d’élaboration, y compris les projets ayant une empreinte mondiale et potentiellement systémique comme Libra, soulèvent de graves préoccupations tant réglementaires que systémiques, ainsi que des enjeux de politiques publiques, qui doivent tous être traités avant que ces projets ne puissent être mis en œuvre. (…) Les Ministres et les Gouverneurs sont pour autant convenus que ces projets soulignaient la nécessité d’améliorer sensiblement les systèmes de paiements transfrontaliers et de les rendre moins coûteux pour les consommateurs. Ils ont salué les conclusions préliminaires du groupe de travail1 du G7 sur les stablecoins, coordonné par Benoît Cœuré ».

Extraits du rapport préliminaire du groupe G7 animé par Benoît Cœuré (voir lien ci-après)

(…) First, stablecoin initiatives must ensure public trust by meeting the highest regulatory standards and be subject to prudent supervision and oversight (…). The fundamental concept of “same business, same risks, same rules” applies. Regulatory approaches have to be globally consistent, and any gap or inconsistency should be identified and addressed.

Second, stablecoin initiatives should demonstrate a sound legal basis, in all relevant jurisdictions, to ensure adequate protection and guarantees to all stakeholders and users. At a minimum, issuers of stablecoins should clearly explain the nature of the commitment they are making to the holders of their coins and any risks involved in owning such assets.

Third, the governance and risk management framework should ensure operational and cyber resilience.

Fourth, the management of the assets underlying the arrangement must be safe, prudent, transparent and consistent with the nature of obligations to, or reasonable expectations of, coinholders in order to inter alia ensure broad market integrity and coinholder confidence in good times and in bad times.

Moreover, stablecoins may raise broader issues for the international monetary system, in particular if they become a widespread substitute for cash and deposits in some economies.

Significant work by stablecoin developers and further engagement with the public and authorities will be required before they can expect approval by relevant authorities, as the above considerations can only be adequately addressed by ensuring transparency and making more detailed information available for proper assessment”.

Le rapport final du groupe est attend pour l’automne 2019.

 

Résumé de la Présidence française du G7 

Rapport préliminaire du groupe de travail G7 animé par Benoît Cœuré  

Documents publiés par Facebook sur Libra  « White paper » (traduction française)

«The Libra Reserve » (traduction française)

«The Libra Association >  (traduction française)

«Security and Privacy on the Libra Network (traduction française)

« The Libra Blockchain»

Interview du Gouverneur de la Banque de France à l’Obs (25 juin 2019)

Discours du Gouverneur de la Banque d’Angleterre 

Audition de David Marcus devant le Sénat américain 

Déclaration du Sénateur Mike Crapo

Déclaration du Sénateur Sherrod Brown