La seconde table ronde de la matinée était consacrée à l’intégration des systèmes de paiement européens.  Animée par Nicolas de Sèze et José Morata, elle  comptait six panélistes :

  • Arnaud DELEHAYE, Head of SWIFT France
  • Fabrice DENELE, Senior vice president Strategy and Partnership, chez NATIXIS PAYMENTS
  • Marc-Henri DESPORTES, Directeur général adjoint de WORLDLINE
  • Etienne GOOSSE, Directeur général de l’EPC
  • Holger NEUHAUS, Head of the Innovation and Integration Division au sein de la Direction générale « Market Infrastructure and payments » de la BCE
  • Jean-Marie VALLEE, Directeur général de STET

Pour Fabrice Denèle l’interopérabilité n’est pas la bonne réponse à la fragmentation du marché européen des paiements de détail : il faut aller vers des systèmes plus intégrés, avec des acteurs plus gros. Au-delà des systèmes de paiement, l’objectif est bien sûr de répondre à la demande des clients : les clients finaux (les consommateurs) n’expriment pas vraiment de demande car ils disposent de moyens de paiement qui leur conviennent et ils ne ressentent un besoin d’immédiateté (paiement instantané) que dans quelques situations telles que les paiements de personne à personne (P2P), mais  pas pour leurs achats dans le commerce. Les commerçants demandent que les obstacles à une approche paneuropéenne soient résolus, ce qui suppose un scheme, une marque et des règles communes, ainsi qu’un modèle économique soutenable autour d’un système unifié.

Pour Jean-Marie Vallée, une consolidation est effectivement nécessaire (« une vingtaine de CSM en Europe c’est trop »). Quels sont les freins aux scénarios de consolidation ? Ils tiennent aux différences, d’un pays ou d’un système à l’autre, en termes d’organisation des communautés bancaires (degré d’interbancarité),  d’activité des CSM (certains se limitent aux opérations SEPA, d’autres traitent aussi les « legacy » : cartes et images-chèques, qui représentent plus de deux tiers de l’activité de la STET), de gouvernance ou de modèle économique des CSM.  Pour surmonter ces différences, il faut aussi une volonté politique et le soutien des autorités européennes pour assurer la stabilité du modèle économique dans la durée. Mais cette nécessaire consolidation ne signifie pas qu’on doive avoir un seul CSM en Europe : pour des raisons notamment de résilience, il faudrait sans doute trois CSM, « avec un bon  niveau d’interopérabilité, vu des banques »..

Marc-Henri Desportes  souligne qu’au-delà de le fragmentation, qui est réelle, l’Europe des paiements de détail a aussi des lignes de force : comparée aux autre zones géographiques, c’est l’une des plus efficaces et des plus exigeantes en termes de sécurité et de protection des données. Son évolution « doit être guidée par les besoins fondamentaux des acteurs »  : les consommateurs veulent des moyens de paiement simples, sûrs et pas chers ; les commerçants veulent pouvoir accepter tous les moyens de paiement de manière efficace, sans fraude et avoir une vision consolidée de leurs flux ; les banques veulent préserver la relation de confiance avec leurs clients, tout en assurant la sécurité des transactions et la protection des données.  En tant qu’industriel, Worldine s’inscrit dans cette logique de consolidation (cf. l’annonce de  son rapprochement avec Ingenico) et de réponse aux besoins. Etant acteur à l’international, il sait gérer la diversité, mais l’émergence de moyens de paiement européens permettrait de mieux mutualiser les coûts, tout en fixant un benchmark très élevé en termes de sécurité et de protection des données.

Arnaud Delehaye rappelle que SWIFT est une coopérative « au plus près de ses membres ». Déjà présent dans les paiement de détail, notamment en Europe puisque son réseau transporte plus de 40% du trafic SEPA, SWIFT pourrait aider les banques européennes quel que soit le scénario retenu, qu’il s’agisse d’aller vers un modèle multipolaire (SWIFT assure déjà l’interconnexion entre plusieurs systèmes de paiement domestiques) ou vers un système unique (comme SWIFT l’a fait il y a quelques années pour la « New Payment Platform » australienne. Par ailleurs, l’initiative GPI de SWIFT (Global Payment Initiative), lancée en 2016 et co-construite avec les banques afin d’offrir sans surcoût une rapidité, une transparence et une traçabilité accrues dans l’exécution des paiements internationaux, a changé fondamentalement la donne. Aujourd’hui, 65% des paiements transfrontaliers qui transitent sur le réseau SWIFT se font selon les normes GPI, sur plus de 3 900 corridors. Et pour 40% de ces transactions, le bénéficiaire final est crédité en 5 minutes.

Etienne Goosse souligne que le rôle de l’EPC se situe au niveau des schémas (schemes) et que « son ADN est l’intégration, l’innovation et l’harmonisation des paiements en Europe ». On peut certes de se réjouir de ce qui a déjà été fait, mais des défis restent à relever : avec plus de 4.000 fournisseurs de paiements et plus d’une vingtaine d’infrastructures en Europe, il faut du temps pour faire bouger les choses, alors même qu’il y a urgence, compte tenu de l’agilité de ceux qui lorgnent vers les paiements en Europe. Dans ce contexte, deux facteurs d’optimisme sont (1) que cette urgence est désormais reconnue par les principaux acteurs et (2) que sur les paiements instantanés les choses sont allées beaucoup plus vite que par le passé (le schéma SCT Inst a été développé en un an et aujourd’hui, plus de 5 % des virements en euros sont des virements instantanés). Mais pour offrir une solution vraiment paneuropéenne, « il faut aller plus vite, plus loin ». L’EPC est prêt à y contribuer, dans le cadre de sa mission sur les schémas de paiement ou liés aux paiements, en particulier avec les travaux sur le Request To Pay.

Holger Neuhaus explique qu’ayant pris récemment (décembre 2019) ses nouvelles fonctions à la BCE, il a été frappé par la fragmentation du marché européen des paiements de détail, l’absence de schéma de carte européen et la forte dépendance à l’égard de grands acteurs non-européens. Il résume ensuite la stratégie adoptée par le Conseil des gouverneurs de la BCE en novembre 2019 : l’Eurosystème soutiendra activement les initiatives de marché pour une solution pan-européenne, sous réserve que celles-ci réponde à cinq key objectives  : (1) pan-european reachability ; (2) convenience and cost-efficiency ; (3) safety and security ;  (4) European identity and governance ; (5) global acceptance.  L’Eurosystème est « agnostique »  à l’égard des initiatives qui pourraient être lancées, dès lors qu’elles se conforment à ces cinq objectifs, mais  salue (« welcome« ) l’European Payment Initiative (EPI) visant à créer un schéma de carte européen.