L’actualité a encore été très riche cet été sur les monnaies numériques de banque centrale (MNBC) : côté européen, avec la décision du Conseil des gouverneurs de la BCE de lancer le projet d’euro numérique ; côté américain, avec des prises de position contrastées de membres du Board de la FED en attendant la publication du discussion paper qui servira de base à une consultation publique sur une « U.S. CBDC » ; côté chinois, avec la publication par la PBOC d’un très intéressant rapport sur le projet « e-CNY »

Europe

Décision du Conseil des gouverneurs de la BCE de lancer le projet d’euro numérique (14 juillet 2021)

Le communiqué publié le 14 juillet 2021 à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs   souligne que « la phase d’étude du projet devrait durer 24 mois », que le projet « sera conçu en tenant compte des préférences des utilisateurs et des conseils techniques des commerçants et des intermédiaires » et que « aucun obstacle technique n’a été relevé au cours de la phase de test préliminaire ».

Ce communiqué était accompagné par la publication d’un blog de Fabio Panetta  soulignant que « la monnaie numérique est une réponse aux transformations de la société et aux évolutions technologiques » et se concluant par « L’Eurosystème mènera ce projet avec le degré requis de prudence, conformément à son mandat en tant que garant de la stabilité, à la fois monétaire et financière. Mais nous n’hésiterons pas à écrire cette nouvelle page du progrès européen ».

Également le 14 juillet, la BCE a publié une synthèse des expérimentations sur l’euro numérique menées par l’Eurosystème depuis septembre 2020 et a par ailleurs lancé un appel à candidatures pour la constitution d’un « Digital Euro Market Advisory Group » d’une vingtaine de membres.

Le 19 août, la BCE a lancé un appel à candidatures pour deux postes de consultants sur l’euro digital.

Le 30 août dans une interview à Klaus Schwab, Christine Lagarde soulignait à propos des MNBC que « At the European Central Bank, we believe that we should be ready and have the technology available in order to respond to customer demands. If customers prefer to use digital currency rather than have bank notes and cash available, it should be available. We should respond to that demand, and make sure that we have a solution that is European based, that is secure, that is available under friendly terms, that can be used as a means of payment at reasonable terms as well and does not jeopardize the whole banking system, which should be part and parcel of the proposal ».

Discours du gouverneur de la Banque de France à Paris Europlace (29 juin 2021)

Lors de la conférence internationale organisée par Paris Europlace le 29 juin 2021 (donc quelques jours avant la décision du Conseil des gouverneurs de la BCE), le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a prononcé un important discours « Les voies pour l’avenir : la monnaie numérique de banque centrale et les paiements innovants », dont on retiendra plus particulièrement trois points :

Sur le projet EPI, une réaffirmation très claire du soutien des autorités européennes au projet et de l’urgence de celui-ci : « Je veux aujourd’hui saluer l’engagement des porteurs du projet EPI et les encourager à le déployer le plus rapidement possible. Nous devons accélérer l’étape de décision de « go/no go » de l’automne 2021 et la gouvernance devra également être mise en place dès que possible afin de favoriser le déploiement de l’EPI à l’échelle pan-européenne. Les autorités publiques sont et demeureront totalement engagées en soutien ».

  • Sur la MNBC, une analyse très éclairante du « pourquoi » d’un euro numérique à l’aide de ce que le gouverneur appelle le « triangle des risques :
    • Risque de marginalisation de la monnaie de banque centrale à la fois dans les paiements de détail (avec le recul de l’utilisation des espèces, qui s’est accéléré avec la crise sanitaire) et dans les systèmes de règlement (avec la tokenisation des actifs financiers).
    • Risque de perte de souveraineté monétaire, avec l’apparition des Bigtechs, des cryptoactifs et des stablecoins.
    • Risque de perte de terrain de l’euro dans son rôle international, avec les avancées des MNBC extra-européennes, en particulier le yuan numérique.
  • Également sur la MNBC, le gouverneur a souligné la complémentarité entre MNBC de détail et MNBC de gros: « même si l’attention du public est naturellement focalisée sur la MNBC de détail, la MNBC de gros est tout aussi importante car ses cas d’usage sont dès aujourd’hui encore plus évidents et qu’elle sera indispensable pour assurer des opérations transfrontières. La prochaine phase d’investigation et les prototypes technologiques sélectionnés par l’Eurosystème devront, à mon avis, couvrir ces deux fonctions, séparément ou ensemble ».

Communiqués de la Banque de France sur ses expérimentations de MNBC de gros 

Entre mi-juin et mi- juillet 2021, la Banque de France a publié cinq nouveaux communiqués présentant le résultat de ses expérimentations de MNBC de gros avec divers partenaires :

  • Communiqué du 21 juin 2021  (règlement de titres cotés)
  • Communiqué du 25 juin 2021(règlement de l’émission d’une OAT)
  • Communiqué du 5 juillet 2021  (règlement de l’émission et de l’échange de titres)
  • Communiqué du 8 juillet 2021  (paiement et règlement transfrontières)
  • Communiqué du 13 juillet 2021 (transfert transfrontières entre deux particuliers)

 

USA

Pour mémoire, Jerome Powell, président de la FED, avait annoncé le 20 mai 2021 la publication, durant l’été 2021, d’un discussion paper qui servira de base à une consultation publique: « The Federal Reserve Board will issue a discussion paper this summer, outlining our current thinking on digital payments with a particular focus on the benefits and risks associated with CBDC in the U.S. context. As part of this process, we will ask for public comment on issues related to payments, financial inclusion, data privacy, and information security”.

Plusieurs membres du Board de la FED se sont exprimés dans le semaines qui ont suivi, en affichant des positions qui illustrent la vivacité du débat interne à la FED sur l’opportunité d’émettre une « U.S. CBDC ». Ainsi par exemple :

Mme Lael Brainard, dans un speech du 24 mai, expliquait les raisons qui ont conduit la FED à accélérer intensifier ses travaux sur la CBDC: « In light of the growing role of digital private money in the broader migration to digital payments, the potential use of foreign CBDCs in cross-border payments, and the importance of financial inclusion, the Federal Reserve is stepping up its research and public engagement on a digital version of the U.S. dollar ». Dans une autre intervention le 30 juillet, Lael Brainard soulignait les enjeux internationaux:  « The dollar is very dominant in international payments, and if you have the other major jurisdictions in the world with a digital currency, a CBDC offering, and the U.S. doesn’t have one, that just doesn’t sound like a sustainable future to me ».

Randal Quarles, dans une intervention du 28 juin, s’attachait à réfuter un par un les arguments en faveur d’une CBDC, pour conclure: « First, the U.S. dollar payment system is very good, and it is getting better. Second, the potential benefits of a Federal Reserve CBDC are unclear. Third, developing a CBDC could, I believe, pose considerable risks (…). Even if other central banks issue successful CBDCs, we cannot assume that the Federal Reserve should issue a CBDC».

 

Lors de son audition par le Congrès américain le 14 juillet, Jerome Powell, interrogé par un parlementaire qui s’inquiétait du retard pris par la FED sur le digital dollar et du risque que cela faisait peser sur le statut du dollar, lui a répondu: « I am not concerned about that. The USD is the reserve currency. There really is not a good competitor (…) we are not in danger of losing it. Certainly not to China, which does not have an open capital account», soulignant ensuite que le plus important est de faire bien les choses:  « a digital dollar carries risks, it does have benefits, it is quite specific to the institutional context of each country. It is more important to get it right than to do it fast ». Questionné enfin sur le digital dollar comme alternative aux cryptomonnaies et aux stablecoins, Jerome Powell a répondu que c’est l’un des arguments invoqués en faveur d’une CBDC « it is one of the arguments that are offered in favor of a digital currency, that you would not need stablecoins; you would not need crypto-currencies if you had a digital US currency. I think it is one of the stronger arguments in its favor ».

Christopher Waller, dans un speech du 5 août au titre très parlant («CBDC: a solution in search of a problem? »), s’attachait à réfuter un par un les arguments en faveur d’une CBDC, pour conclure: « while CBDCs continue to generate enormous interest in the United States and other countries, I remain skeptical that a Federal Reserve CBDC would solve any major problem confronting the U.S. payment system. There are also potential costs and risks associated with a CBDC (…) Government interventions into the economy should come only to address significant market failures. The competition of a Fed CBDC could disintermediate commercial banks and threaten a division of labor in the financial system that works well. And, as cybersecurity concerns mount, a CBDC could become a new target for those threats ».

On attend donc avec d’autant plus d’intérêt la prochaine publication du discussion paper de la FED et la consultation publique qui suivra….

Chine

L’été a été marqué par la publication par la banque centrale chinoise (PBOC), le 16 juillet 2021, d’un rapport sur son projet de MNBC Progress of research and development of e-CNY in China »), rapport d’autant plus intéressant que c’est la première fois qu’on dispose (du moins en anglais) d’un document émanant de la PBOC elle-même, qui constitue donc une source d’information de première main sur le projet chinois.

Ce rapport présente en une quinzaine de pages très claires le projet e-CNY, son histoire, son contexte, ses objectifs, son design, son état d’avancement et ses perspectives. On y trouve notamment des chiffres qui illustrent l’ampleur des tests pilotes qui ont été conduits en Chine depuis la fin 2019 : au 30 juin 2021, près de 25 millions de wallets avaient été ouverts (21 millions de personal wallets et 4 millions de corporate wallets) avec lesquels plus de 70 millions de transactions ont été effectuées pour une valeur de 35 milliards de yuans (soit l’équivalent de 5,3 milliards de dollars).

Bien que l’on prête à la Chine l’intention de lancer sa monnaie digitale à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin début 2022, le rapport précise qu’aucune date n’est fixée et souligne que la PBOC continuera d’avancer prudemment (« The PBOC will continue to prudently advance the pilot e-CNY R&D project in line, with no preset timetable for the final launch« ) et que les travaux de la période à venir se concentreront sur trois domaines :

  • Les tests-pilotes, en liaison avec les acteurs de l’écosystème des paiements : « The PBOC will improve the e-CNY ecosystem (…) and will join hands with and tap the strengths of all relevant parties, including 15 authorized operators, to improve pilot schemes based on practices and continuously optimize the design of the e-CNY system ».
  • Le cadre juridique afin de renforcer la protection des données personnelles et la sécurité du système: « We will formulate administrative measures on e-CNY to enhance protection of personal information (…) improve security management for the e-CNY operational system (…) to ensure safe and stable functioning of the system ».
  • La recherche sur des « major issues » telles que l’impact du e-CNY sur la politique monétaire et la stabilité financière, avec une participation active aux travaux internationaux:  » The PBOC is willing to participate actively in international exchanges of views on digital fiat currency and discuss standards setting in an open and inclusive manner, in order to jointly advance the development of the international monetary system« .