Après vingt ans de travaux, à la suite du passage à l’euro, l’Europe a presque atteint l’âge de la maturité… C’est-à-dire l’âge des décisions responsables. La Présidence française du Conseil de l’Union européenne a consacré cette étape majeure en faisant adopter un nombre impressionnant de textes règlementaires et d’orientations qui vont marquer les phases ultérieures de son développement.

La maturité, c’est l’heure des premiers bilans, de la consolidation de son futur et des ajustements de parcours. Certes, ce n’est pas sans à-coups, comme le montrent le difficile accouchement du projet européen EPI ou la complexe adoption du futur scénario de naissance de l’euro numérique. Depuis sa création en 2012 FRANCE PAYMENTS FORUM (qui s’est d’abord appelé Club SEPA) a accompagné cette évolution.  Et le 30 juin prochain, nous fêterons les dix ans de FRANCE PAYMENTS FORUM. C’est aussi le passage à la maturité pour notre jeune association.

Vingt ans déjà et un bilan impressionnant, qui a donné à l’Europe la règlementation la plus avancée au plan mondial, en matière de paiement, de protection des données personnelles, mais aussi de numérique et de sécurité. Vingt ans qui ont vu la création de l’espace règlementaire SEPA, à défaut de la suppression des derniers vestiges des frontières nationales des divers États européens. Vingt ans qui ont permis de dépasser les vieux clivages pour construire ensemble un nouveau marché dynamique, digital, prometteur et convoité.

C’est l’heure du premier bilan disions-nous. Celui des réussites, des échecs, des inflexions, de l’évaluation des points d’appui et des menaces …

Ce bilan a été fait, et FRANCE PAYMENTS FORUM y a contribué par ses travaux et ses nombreuses Rencontres, comme celle de novembre 2021 sur la construction de l’Europe des paiements, ou celle de  mars 2022 sur la construction d’une Europe digitale, compétitive et innovante dans la finance et les paiements. FRANCE PAYMENTS FORUM bénéficie du soutien sans faille de la Commission européenne, de la Direction générale du Trésor, de la Banque Centrale Européenne et de la Banque de France, des représentants de l’industrie bancaires et de l’industrie des services digitaux, de l’EPC[1] et de l’EDPIA[2], et de bien d’autres. Qu’ils en soient tous très chaleureusement remerciés.

Ce bilan reste à approfondir, sur la mise en œuvre de la Retail Payments Strategy européenne, sur la révision de la DSP2, sur la suppression progressive des frontières nationales sur certains sujets clés comme la lutte contre la fraude ou le déploiement des nouveaux instruments de paiement, sur la création de champions industriels et bancaires et  l’émergence de Licornes, sur la création de systèmes interbancaires européens, sur les règles de concurrence (« level playing field »),  sur la rémunération des services de paiement, sur les nouveaux défis technologiques qui se présentent, comme avec les ordinateurs quantiques, les cryptoactifs et le métavers… et enfin sur la maîtrise de l’action des Big techs internationales.

Il faut pourtant revenir sur le coup d’arrêt donné au projet de construction d’un nouveau système de paiement par carte en Europe, même si le projet EPI poursuit sa route, une route certes moins ambitieuse, mais toujours aussi passionnante, pour construire le futur wallet de paiement européen, avec le soutien d’un solide corps d’entreprises bancaires et industrielles européennes. Ce coup d’arrêt  résulte de la conjonction de trois forces contraires : la volonté des schemes cartes internationaux (ICS) de ne pas perdre la maîtrise du marché européen des paiements par carte transfrontières, voire de la possibilité de pénétrer tous les marchés domestiques européens, quel qu’en soit le prix à payer ;  l’approche encore juvénile de certaines communautés bancaires nationales qui pensent toujours pouvoir s’en sortir seules en fermant leur marché, alors qu’on est à l’heure de la globalisation et que les menaces sont à nos portes, voire déjà là ; et, disons-le, l’empressement de la BCE d’offrir à l’Europe un euro numérique, ce qui est en soi louable et justifié, mais qui devrait respecter un phasage nécessaire et incontournable, consistant à introduire d’abord une monnaie numérique de gros[3], et qui devrait également prendre en compte les efforts considérables que doivent déjà consentir les  banques européennes pour passer à l’ère digitale. Le défi du projet EPI est donc très important, mais certains ont relevé le gant, et nous leur devons respect et soutien. FRANCE PAYMENTS FORUM poursuivra son engagement sans relâche pour le succès du projet EPI et la construction d’un système de paiement européen à vocation internationale.

Vingt ans, c’est aussi l’heure de la recherche d’une liberté d’expression et de décision, que certains appellent la Souveraineté européenne, ou l’Autonomie stratégique ouverte, bref de la volonté de se dégager des tutelles internationales pour construire son propre destin.

C’est à la fois courageux et ambitieux, mais ce n’est pas sans risques et ce n’est pas sans concession….

Pourtant, là encore, l’Europe a progressé. En adoptant des règlementations courageuses, comme le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) permettant de contenir les grandes ambitions des Bigs Techs internationales, tout en laissant ouvertes les possibilités de coopération fructueuse, pour ne pas se couper de leurs innovations ; mais aussi, en étant strict sur certains sujets clés, comme en exigeant l’ouverture, qui sera longue à venir, des téléphones portables Apple aux solutions de paiement mobile européenne. Et en essayant de cadrer l’irruption des nouveaux acteurs du numérique dans le champ des paiements tout en soutenant l’émergence d’un réel marché des cryptoactifs et des cryptopaiements, voire de réelles monnaies digitales, centrales ou commerciales, comme avec le règlement MiCA, qui sera adopté prochainement. Enfin, en donnant aux innovateurs les moyens de faire progresser leurs projets. Et la France y a fortement contribué, en appuyant la Commission européenne dans toutes ses initiatives.

Sur ces derniers points, FRANCE PAYMENTS FORUM a élaboré plusieurs documents de position, comme sur « L’opportunité et les enjeux d’une monnaie numérique pour l’Europe des paiements », ou sur le règlement MiCA, et a répondu aux diverses consultations de la Commission européenne ou de l’Eurosystème, comme dernièrement, sur l’opportunité d’une monnaie numérique centrale de gros. Tous ces sujets sont stratégiques, comme l’a reconnu le Conseil de l’Union européenne, mais ils ne doivent pas nous faire oublier le grand chantier engagé depuis plusieurs années de la digitalisation des paiements et notamment du développement des paiements instantanés.

Ce grand chantier a été relancé en France par la campagne d’information du CNPS sur l’Instant Payment, appuyé par toute l’industrie bancaire française et tous les acteurs du marché français des paiements. Il va être relancé au plan européen par les nouvelles orientations qui seront annoncées par la Commission européenne à l’automne prochain.

Ce chantier va devenir prioritaire, parallèlement aux réflexions à venir sur les scénarios pour construire un système européen de paiement, par carte et par Instant Payment, et ceux sur l’introduction progressive de monnaies digitales centrales et commerciales. FRANCE PAYMENTS FORUM va participer activement à ces réflexions par des propositions et des documents de positions, au travers de sa dizaine de groupes de travail sur les flux, la monétique européenne, les cryptopaiements, l’innovation, le paiement mobile …

Un dernier chantier concerne la sécurité des paiements. Comme déjà évoqué, la menace est persistante et de nouveaux orages s’approchent, même si l’Europe peut s’enorgueillir d’être le marché des paiements le plus sûr du monde. FRANCE PAYMENTS FORUM a engagé une double démarche pour examiner les diverses menaces et proposer des stratégies sécuritaires aux divers acteurs, y compris sur le recours à la signature électronique avancée et qualifiée pour certaines formes de paiement irrévocables comme les paiements instantanés, et pour anticiper les nouvelles menaces, comme dans le quantique.

Ainsi, FRANCE PAYMENTS FORUM s’est progressivement forgé une doctrine dans les paiements, construite et partagée par ses membres, et une organisation, fondée sur le bénévolat et le professionnalisme de ses experts. Il constitue sans conteste une association représentative d’une industrie française bancaire et non bancaire dans les paiements, un lieu d’échange, de concertation et de proposition, sans ambition autre que de favoriser l’émergence d’une Europe des paiements puissante et résiliente, avec le minimum de frontières internes et une forte dynamique industrielle.

Mais, FRANCE PAYMENTS FORUM reste une organisation domestique, comme on dit en Europe, enfermée dans ses frontières nationales. Sa grande ambition est désormais de passer à l’échelle européenne pour forger, avec d’autres, un Forum européen des paiements. Cette nouvelle ambition sera difficile et longue à satisfaire et ne doit, en aucune façon, être mise en concurrence avec les organisations européennes existantes, qui ont des missions de plus haut niveau. C’est l’enjeu de la prochaine décennie.

Mais, déjà, bravo à tous nos membres, qui ont su forger leur association et qui contribuent, avec de maigres moyens, à faire avancer les débats et idées au plan des paiements en France et en Europe, et à donner une perspective européenne aux travaux engagés en France. Et bon anniversaire, FRANCE PAYMENTS FORUM.  Cet anniversaire sera fêté ce 30 juin, avec tous nos amis et partenaires, et avec une Rencontre qui sera porteuse des nombreux travaux de nos GT et des éclairages de tous nos amis de l’industrie bancaire et des services digitaux dans les paiements, qui vont nous accompagner.

 

[1] Qui vient de fêter ses vingt ans. Félicitations à l’EPC, à Javier, Rita et Etienne, et bonne continuation.

[2] Qui vient de fêter également ses 2 ans. Félicitations également, notamment à son Président Gilles GRAPINET

[3] Nous profitons de cet éditorial, pour féliciter la Banque de France, qui a reçu un prix « Central Banking Fintech and Regtech Global Awards » pour ses expérimentations de monnaie numérique de banque centrale.