L’Europe a pris conscience des enjeux stratégiques dans les paiements. Et plusieurs événements récents montrent qu’il s’agit bien plus que d’une démarche de façade.

Les conclusions du Conseil européen sur la stratégie en matière de paiements de détail.

Le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement des États-membres, a pris plusieurs décisions fortes. Dans leur Déclaration du 25 mars 2021, les membres du Conseil ont approuvé la stratégie de la Commission Européenne dans le numérique, et « insistent sur la nécessité d’accroître la souveraineté numérique de l’Europe de manière autodéterminée et ouverte (…) en préservant des marchés ouverts et la coopération mondiale. ».

Parallèlement, le Conseil a adopté des conclusions sur la stratégie en matière de paiements de détail (RPS) qui avait été présentée par la Commission Européenne en septembre 2020. On a ainsi pu lire que le Conseil « soutient pleinement les objectifs généraux de la stratégie, tels que la mise en place au sein de l’UE d’un marché des paiements de détail concurrentiel et innovant » et qu’il « est conscient que les spécificités et le rythme et l’ampleur des changements technologiques dans le secteur des paiements exigent des mesures spécifiques et ciblées, allant au-delà de la portée transversale de la stratégie en matière de finance numérique ».

On lit aussi que le Conseil « marque son accord sur les « piliers » des mesures stratégiques (…) qui portent sur 1) la nature de plus en plus numérique et instantanée des solutions de paiement paneuropéennes; 2) les enjeux en matière d’innovation et de compétitivité; 3) les aspects des systèmes de paiement de détail et d’autres infrastructures de soutien liés à l’accès, à l’efficience et à l’interopérabilité; et 4) la dimension internationale ».

Et les Chefs d’État et de gouvernement détaillent leurs recommandations sur le SEPA, le Request-to-pay, le système TIPS, l’euro digital, l’ISO 20022, les API, les paiements « one leg » et « two legs »…

Enfin, ces stratégies sont accompagnées par les règlementations sur le digital (le Digital Services Act, le Digital Market Act, voire la règlementation MiCA) et la consultation sur les paiements instantanés que vient de lancer la Commission européenne, le tout laissant envisager « des initiatives paneuropéennes » au premier trimestre 2022.

Les conclusions du Conseil et ces propositions règlementaires constituent un pas majeur, à marquer d’une pierre blanche, pour l’Europe des paiements. On ne l’espérait plus depuis près de vingt ans, depuis le passage à l’euro.

Certes, vingt ans après le passage à l’euro, l’Europe des paiements reste fragmentée, comme le soulignent les conclusions du Conseil, avec diverses monnaies et des habitudes de consommation diverses sur les divers marchés nationaux, malgré la DSP1, la DSP2 et toutes les avancées. Mais la volonté politique est là et c’est très important.  Et au-delà d’une stratégie numérique et d’une stratégie dans les paiements, l’Europe s’engage dès à présent dans leur mise en œuvre.

C’est donc un défi d’envergure que devra relever l’Europe des paiements, et qui va trouver une grande part de son aboutissement au premier semestre 2022, donc sous la présidence française de l’Union Européenne. Dans cette perspective, FRANCE PAYMENTS FORUM, s’attachera à faire converger toutes les initiatives pour une Europe des paiements souveraine, solidaire, compétitive, digitale, innovante et ouverte au monde et pour contribuer au plein succès de la Présidence française de l’Union Européenne.

Le projet EPI (European Payments initiative).

Même si le Conseil européen ne fait pas nommément référence au projet EPI, on peut considérer que celui-ci figure en arrière-plan de ses conclusions.

Le projet EPI est bien parti et la mobilisation en cours des partenaires au sein de l’EPI Interim Company afin de constituer une équipe de haut niveau reflète bien l’ambition de ce projet paneuropéen et l’objectif de mise en place d’une entité pérenne dès l’automne 2021.

Certes, ce projet présente plusieurs risques qui ont déjà été mis en avant dans diverses publications.

  • Ainsi, certains pointent-il les craintes de la clientèle qu’EPI fonctionne moins bien que les dispositifs existants (nationaux et internationaux…), qu’il soit plus coûteux, ou encore qu’il aboutisse à se couper du reste du monde. Ce sont de vrais risques. Les promoteurs du projet, notamment les banques françaises, ont bien ces risques à l’esprit et semblent les avoir déjà pris en compte dans les divers pré-choix effectués. Mais le défi à relever reste immense.
  • L’autre risque serait celui d’une concurrence technique et marketing convergente des schemes internationaux de cartes, des GAFAS et BATX, et des nouveaux émetteurs de « stablecoins » qui n’hésiteraient pas à conjuguer leurs efforts pour conquérir l’Europe. Ce risque est également identifié mais la réponse à apporter est plus complexe car la période à venir laisse très ouverts les scénarios.

Ici encore, FRANCE PAYMENTS FORUM se mobilise pour le succès de cette initiative paneuropéenne, comme l’illustre la table ronde que nous avons consacrée à EPI lors de nos Rencontres digitales du 3 mars dernier.

L’Instant Payment.

Les Conclusions précitées du Conseil européen sont très explicites sur le paiement instantané dont la Commission Européenne souhaite faire le « New normal »). Le Conseil « met l’accent sur les objectifs consistant à promouvoir une utilisation généralisée des paiements instantanés, parallèlement à d’autres solutions de paiement ».

L’Instant Payment constitue en effet une innovation majeure dans l’espace des paiements européens. FRANCE PAYMENTS FORUM soutient la stratégie mise en œuvre par les Pouvoirs autorités européennes notamment la RPS de la Commission et les contributions de la BCE en ce domaine.

La feuille de route de la Commission européenne sur l’Instant Payment constitue une étape nouvelle, concrète et rapide au déploiement de l’Instant Payment. Elle vise à généraliser l’adhésion de tous les PSP au scheme de l’EPC, afin de favoriser une interbancarité universelle, proche de celle qui prévaut en France dans les paiements.

Mais autant l’Instant Payment apporte aux banques, par substitution au SCT, une réelle solution de traitement des virements « au fil de l’eau », autant l’usage de l’Instant Payment comme instrument de paiement au point de vente soulève-t-il de réels défis, et ce d’autant que les modes de paiement continuent de différer fortement d’un pays à l’autre en Europe.

En effet, un instrument de paiement n’a de chance de succès que s’il atteint également et surtout une masse critique d’utilisateurs et d’accepteurs. Et il ne peut prétendre à un tel résultat que s’il apporte un réel « plus » en termes de services à chaque acteur de la chaîne des paiements : consommateurs, commerçants et même banques ou PSP… De plus, au-delà du marketing, il faut qu’il dispose d’un mix de paramètres en termes technologiques, réglementaires, économiques, de sécurité et maîtrise des risques, lui assurant un fonctionnement ouvert, convivial et sans forte complexité, sous peine de ne pas être compétitif par rapport aux instruments de paiement existants. Or à ce stade, l’Instant Payment au point de vente n’apporte que très peu de cas d’usage, et tous les paramètres ne sont pas encore satisfaits.

Le lancement d’EPI apportera une unification forte du marché, et même s’il ne constitue pas une solution universelle faute d’un accord interbancaire généralisé au plan européen, il apportera, avec sa forte part de marché attendue, une solution de référence pour les paiements au point de vente et à distance dans toute l’Europe.

Les monnaies numériques de banque centrale.

Dans sa revue des grands sujets, le Conseil européen, indique dans ses conclusions précitées qu’il « est conscient des avantages potentiels des monnaies numériques de banque centrale », mais aussi qu’il « insiste sur la complexité de cette question et l’importance de procéder à une analyse minutieuse et approfondie des effets négatifs potentiels ».

Ce sujet des monnaies numériques (ou digitales) de banque centrale laisse perplexe, car même si elles font actuellement l’objet de très nombreuses expérimentations, publications, déclarations ou symposiums qui illustrent à la fois l’intérêt et l’urgence du sujet, on ne peut que noter les hésitations et les débats sur ce sujet au sein des banques centrales et des pouvoirs publics, ainsi que les critiques à l’encontre de l’euro digital qui circulent dans certains pays européens, comme en Allemagne.

Dans une tribune publiée le 25 mars 2021, Fabio Panetta, membre du Directoire de la BCE et Président de l’ERPB a déjà dû monter au créneau pour répliquer à « trois idées fausses qui circulent actuellement sur l’euro numérique » et de citer (1) « l’idée que la BCE a l’intention d’abolir les espèces pour imposer ensuite des taux d’intérêt encore plus bas sur l’euro numérique » ; (2) « la croyance que l’euro numérique dénaturerait l’intermédiation bancaire » ;  (3) « l’hypothèse que l’euro numérique ne reposerait pas sur un modèle d’activité viable ».

Les clarifications ainsi apportées suffiront-elles à contrebalancer ces « idées fausses » à l’encontre de l’euro digital ? C’est dire que la décision de la BCE attendue au cours de l’été n’est pas acquise.

Pourtant, face à un marché des cryptoactifs qui s’emballe, face aux multiples investissements de grands acteurs bancaires, financiers voire technologiques, sur ce marché, face aux annonces qui s’égrènent de jour en jour d’offres de solutions de paiement fondées sur les cryptoactifs et face aux initiatives de certaines banques centrales qui ont pris de l’avance sur ce sujet (Suède, Chine), l’émission d’un euro digital semble bien incontournable, même si son business case n’est pas évident à court terme.

Les banques devraient également de leur côté réfléchir à l’émission d’une monnaie digitale commerciale et aux services qu’elles pourraient adjoindre à un euro digital central, car l’un n’exclut pas l’autre. Et le développement d’une industrie européenne des cryptopaiements, même s’il sera très long, devra se faire en parallèle de la poursuite de la modernisation des systèmes de paiements scripturaux. Une réflexion interbancaire européenne, éventuellement dans le cadre d’EPI, pourrait permettre de tracer quelques orientations pour le futur.

Ici encore, FRANCE PAYMENTS FORUM se mobilise pour le développement d’une industrie européenne des cryptopaiements, avec pour point d’entrée la création d’une ou plusieurs monnaies digitales, centrale et commerciales.

Les risques auxquels l’Europe doit faire face.

Toutes ces initiatives montrent bien qu’une dynamique est en cours au plan européen. Mais ces démarches ne sont pas acquises ni sans risques.

Les deux plus grands risques auxquels doit faire face l’Europe dans la phase actuelle seraient :

  • De se limiter à une approche fondée sur des standards fonctionnels ou à des règlementations pour construire l’Europe des paiements. On ne peut que souhaiter une floraison de projets pour accompagner la mise en œuvre de la stratégie des paiements de détail RPS ;
  • D’oublier l’importance de disposer non seulement de modèles économiques viables mais aussi de financements à la hauteur des enjeux.

Ces risques nécessitent des réponses urgentes, sur lesquelles FRANCE PAYMENTS FORUM fera des propositions au cours des prochains mois.

En conclusion.

On ne peut que se féliciter que l’Europe ait bien pris conscience des enjeux stratégiques dans les paiements, et ce à tous les niveaux décisionnels. Mais une stratégie ne s’entend pas seulement à moyen ou long terme : les acteurs du domaine des paiements ne doivent pas négliger l’importance de réponses de court terme et de feuilles de route. La COVID nous l’a appris : il faut être prêt à réagir quand la menace se concrétise et le post-COVID s’organise déjà partout au plan mondial, car cette période sera propice à beaucoup d’annonces et d’initiatives et génèrera une réorganisation majeure du marché des paiements. C’est donc dès maintenant que les réponses doivent se préparer.