Nathalie Aufauvre, Directrice générale de la stabilité financière et des opérations, Banque de France
- Remarques introductives
- Je tiens à remercier les organisateurs pour cette invitation et cette célébration des 10 ans d’existence du France Payments Forum.
- Beaucoup de choses se sont passées dans la construction de l’Europe des paiements au cours de la décennie écoulée. Est-il nécessaire de rappeler que France Payments Forum, anciennement appelé le Club SEPA, a été créé à l’origine pour accompagner le marché français pendant la migration vers les virements et prélèvements SEPA. Cela parait bien loin aujourd’hui mais il faut se rappeler que cette migration vers SEPA a demandé des efforts très substantiels à l’ensemble de l’écosystème et la fixation d’une « end date» au 1er août 2014 a finalement permis de franchir cette étape importante dans l’intégration du marché européen des paiements, dans la continuité de l’introduction de la monnaie unique sur les marchés interbancaires en 1999 et la monnaie fiduciaire en 2001.
- Ensuite, la seconde directive sur les services de paiement (DSP2) est venue parachever (avant une nouvelle étape qui devrait être plus incrémentale (future DSP3)) l’édifice réglementaire en place, en renforçant la sécurité des transactions grâce à l’authentification forte et en stimulant l’innovation avec l’ouverture des données bancaires à des acteurs tiers.
- Le club SEPA a permis l’émergence d’un forum de tous les acteurs bancaires et non-bancaires français, soucieux de participer activement à la construction de l’Europe des paiements avec des objectifs ambitieux. Fort de son rôle dans la migration vers les virements et prélèvements SEPA, FPF a su s’imposer comme un lieu d’échange d’importance sur le marché français, en se saisissant régulièrement de nouveaux sujets en lien avec les enjeux d’innovation et de souveraineté. Je voudrais particulièrement saluer le mérite et le professionnalisme de FPF, en particulier son président et toute l’équipe qui l’entoure, pour avoir réussi le tour de force de faire vivre cette enceinte et de la développer de sorte qu’elle s’impose naturellement pour jouer un rôle central dans les échanges au sein de la communauté française des paiements. Tous les moyens ont été bons : invitation dans des sites de prestige comme l’Automobile Club de France, recrutement des meilleurs spécialistes des paiements et entretien d’un réseau actif chez tous les acteurs de la Place et même en Europe ; à la BDF FPF a réussi à débaucher nos plus éminents retraités comme Nicolas de Sèze et Christian Pfister, à qui on ne peut évidemment rien refuser, car s’ajoutent à votre talent de communication et d’organisation votre enthousiasme et votre passion pour ce domaine des paiements
- À cet égard, il faut souligner le rôle complémentaire joué par le FPF, qui permet de faciliter le dialogue au sein de la profession, aux côtés d’instances comme le CNPS et l’OSMP où sont plus largement représentées les autorités publiques.
- Perspectives et enjeux de l’Europe des paiements à venir : priorités pour l’avenir
Beaucoup de choses se sont passées au cours des 10 dernières années, mais beaucoup reste à faire ! et le contexte marqué par une accélération de l’innovation technologique d’une part et l’amplification des tensions géopolitiques d’autre part accroit la pression pour des évolutions encore plus rapides et plus stratégiques du monde des paiements.
- En particulier, malgré l’existence d’un cadre juridique solide, la numérisation des usages appelle de nouvelles actions réglementaires, qui vont profondément agir sur l’écosystème : il s’agit
- De s’assurer que l’innovation intervient dans un climat de confiance. Le projet de règlement Markets in crypto-assets (MiCA) actuellement en cours de finalisation a ainsi pour objectif de mieux encadrer les émetteurs de crypto-actifs, en particulier les stablecoins, ainsi que les prestataires de services sur ces crypto-actifs comme les plateformes d’échange ou les fournisseurs de portefeuille électronique. Ce projet vise également à garantir que ces actifs ne constituent pas des moyens de paiement déguisés, assujettis à un cadre réglementaire moins exigeant et donc moins protecteur que les acteurs traditionnels des paiements. En outre, le Digital Market Act cherche à s’assurer que les BigTechs n’abusent pas de leur position dominante, et aura un impact sur le segment des paiements mobiles en facilitant l’accès à la puce NFC de certains constructeurs.[1]
- Il s’agit aussi de faire face aux risques informatiques, le projet de règlement Digital operational resilience Act (DORA) consacrera dans des textes contraignants un cadre européen de cybersécurité et de résilience opérationnelle. Ce cadre couvrira notamment les grandes problématiques actuelles en matière de gestion du risque cyber, dont la gestion du risque de tiers, la communication des informations entre institutions financières ou le régime de supervision et de surveillance.
- Enfin, la Commission européenne a annoncé deux initiatives majeures dans la continuité des grands projets d’intégration européenne déjà évoqués : (i) la publication d’un texte pour favoriser le développement du virement instantané, attendu d’ici la fin de l’année, et (ii) la revue de la deuxième directive sur les services de paiement (DSP2) dès 2023, laquelle pourra déboucher sur une possible révision.
- A côté de l’adaptation du dispositif réglementaire à cette nouvelle donne, Il nous faut poursuivre l’intégration du paysage européen des paiements dans une logique de partenariat entre secteur privé et secteur public et de renforcement de l’autonomie européenne des paiements.
- C’est un impératif car les acteurs européens perdent des parts de marché face aux grands acteurs américains, et alors même que les big techs n’ont pas encore complètement pris pied dans ce domaine: il est nécessaire d’investir et d’innover, sans doute plus qu’au cours des années précédentes, pour rester compétitif et tout simplement ne pas se faire sortir de ce marché, essentiel pour garder la relation avec la clientèle de détail. Ces investissements doivent constituer un vecteur d’intégration européenne. L’European Payment Initiative (EPI), que nous soutenons, doit par exemple permettre d’offrir à l’ensemble des citoyens européens une solution de paiement mobile du quotidien, pour payer en magasin, sur internet ou entre amis. Les acteurs de marché ont également un rôle à jouer pour favoriser l’adoption des virements instantanés et en faire une « nouvelle norme », comme c’est déjà le cas dans certains pays européens.
- Il me semble qu’il faut être résolument innovant dans ce domaine et adopté une vision prospective car nous faisons face à une accélération du tempo. Par ex, peut-être avons-nous trop voulu défendre notre modèle de carte bancaire dans les négociations EPI et pas suffisamment vite tirer les conséquences de la non adhésion d’un grand nombre de communautés, annoncée dès le début.
- En parallèle , les banques centrales et les régulateurs doivent leur permettre de réussir par leur soutien et en formalisant un cadre réglementaire favorable à leur développement, par exemple concernant le SCT Inst.
- Les banques centrales ont également leur partition à jouer, de façon complémentaire, face au déclin de l’usage du cash avec l’émission possible d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de détail. Loin d’être orthogonal aux initiatives pan-européenne de paiements portées par le secteur privé, nous estimons que l’euro numérique pourrait constituer un levier de développement d’EPI, dont la solution numérique pourra servir de vecteur de diffusion et d’utilisation de l’euro numérique.
- Nous avons devant nous des transformations radicales : elles nécessitent d’associer l’ensemble des acteurs de place pour une vision stratégique des grands chantiers européens à venir.
- Pour affronter ces défis, la place française aura plus que jamais besoin de rester soudée, et de maintenir un dialogue constant permettant de dépasser les différences de point de vue.
- Cette évidence nous a conduit à faire un bilan des actions du Comité national des paiements scripturaux (CNPS) à mi-parcours de sa stratégie 2019-24, et à réfléchir à une nouvelle organisation de ses travaux pour envisager l’avenir avec sérénité. Parmi les objectifs poursuivis, nous souhaitons notamment assurer un suivi plus approfondi des initiatives de marché comme EPI et des projets sur la MNBC, mais aussi une plus forte prise en compte des questions fiduciaires pour assurer une vue d’ensemble des paiements. L’intégration européenne restera une des grandes priorités stratégiques pour les années à venir et le CNPS continuera d’assurer son rôle d’interface entre la communauté française et les instances européennes, au premier rang desquelles figure l’European Retail Payments Board (ERPB).
Comme vous le voyez, la construction de l’Europe des paiements est un long voyage ! j’espère que FPF continuera à nous apporter son savoir-faire pour animer le dialogue de la Place et faciliter notre engagement collectif pour une véritable Europe des paiements! Voici un programme pour au moins les 10 prochaines années ! Joyeux anniversaire à vous !
[1] Cas des téléphones Apple dont les puces sans contact NFC sont verrouillées pour les seuls applications du constructeur californien